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4ème étape
Glacier de Saleina: Mésaventure sur le glacier de Saleina

La 1ère difficulté consista à retraverser l'immense glacier dont la surface était dangereusement glissante malgré nos crampons. Au beau milieu du glacier, Eric nous demanda d'attendre dans une " rimaye ", une crevasse dans le glacier, afin de mieux pouvoir nous assurer 30 mètres plus loin. Se trouvant dans une position relativement inconfortable, Benoit et Philippe s'étaient entre-temps attachés à un piolet solidement ancré dans la glace.
Soudain, un bruit rauque, comme du tonnerre, nous fit sursauter. Juste au-dessus de nous, à quelque deux cents mètres, de la pierraille et des blocs de rocher dont plusieurs avaient au moins 70 cm de diamètre s'étaient détachés et dévalaient de plus en plus vite dans notre direction. Nous n'avions que quelques secondes pour réagir. Tout le monde garda son sang-froid et s'empressa de se mettre en sécurité dans la rimaye.
Benoît, qui s'était engagé le plus profondément dans le glacier, se trouvait à plat ventre sur le versant de la fissure, la tête en avant, risquant de tomber dans la fente. Il avait une peur bleue que le toit ne s'effondre.
Philippe, retenu par la corde, ne pouvait pas pénétrer plus loin dans le glacier. Le cœur cognant, il cria " Au secours ". Nicolas qui était couché sur lui, avait dans un réflexe mis son sac sur sa tête. Heureusement car une pierre allait percer son sac de protection et enfoncer le goulot de sa gourde. Nous craignions tous d'être ensevelis sous la neige. Un film d'horreur imaginaire défilait devant nos yeux. Benoit qui n'avait que 1,5 mètre de mou, était collé contre la paroi sous une petite crête de neige d'à peine 50 cm. Tel un train de marchandises sans fin, les pierres glissaient et rebondissaient au-dessus de nos têtes se précipitant plusieurs centaines de mètres plus bas dans un vacarme assourdissant. Malgré l'angoisse instinctive, le regard fut étrangement attiré par le seul accès au monde extérieur : une avalanche de pierres qui passe à 15 cm de soi est malgré tout un événement fascinant auquel peu d'êtres humains ont la chance d'assister et moins encore de survivre…

Nos cœurs ont battu la chamade pendant de très longues secondes. Ensuite, ce fut littéralement le calme après la tempête.
Eric, témoin malgré lui, était évidemment fort impressionné par l'éboulement auquel il avait miraculeusement échappé lui aussi : non seulement il n'avait eu aucune protection naturelle contre cette indomptable masse de neige et de rochers, mais il n'aurait, d'autre part, jamais pu nous retenir au cas où ne fût-ce qu'un seul d'entre nous aurait été entraîné dans l'abîme. Remis de sa frayeur, il nous appela d'une voix trahissant son inquiétude une fois que le calme était revenu. Il fut libéré d'un énorme poids lorsque, un à un, nous sortions sains et saufs de la crevasse.
(voir aussi photo de la simulation des positions : Partage de nos expériences à la cabane de l'A-Neuve)

Il fallait maintenant quitter au plus vite cet endroit maudit et peu sûr. Or, même si nous en étions quitte pour la peur, nous n'étions pas au bout de nos péripéties. Les cordes s'étaient emmêlées créant un énorme noeud qui devait impérativement et rapidement être démêlé. Cela énervait visiblement Eric. Entre-temps Benoît avait perdu sa nouvelle gourde, si c'était le prix à payer …
Lorsque nous sommes arrivés près du guide, des réactions diverses se sont manifestées. Philippe tremblait sur ses jambes. Benoît posa ouvertement la question pertinente de savoir si le jeu en valait la chandelle. Nicolas, énervé, nous interdit d'élever la voix de peur que cela provoque de nouvelles chutes de pierres. Benoit remerciait sa bonne étoile et toutes les étoiles au firmament car ils l'avaient tous échapper belle. Eric, qui avait en fin de compte la responsabilité de notre sécurité, se retira dans un long silence et mesura l'ampleur du danger imprévisible dont nul n'est entièrement à l'abri et dont personne n'est jamais entièrement responsable en montagne, quels que soient l'équipement de la cordée et l'expérience du guide. C'était la première fois dans sa longue carrière que cela lui était arrivé : il en garderait un souvenir amer. Ce fut une nouvelle preuve que la nature sauvage et inapprivoisée ne se laisse pas dominer par l'homme.

Toujours est-il que ce moment fort de notre vie s'est gravé dans notre mémoire. Nous resterions à tout jamais unis et liés par cet événement partagé.

A peine avions-nous repris l'escalade transversale du glacier que nous étions contraints d'être spectateurs au premier rang d'un nouvel éboulement pratiquement au même endroit que le premier, à 30 m de nous. Il était fabuleux de voir comment ses blocs de granite se frayaient un chemin, ne poursuivant que la logique inéluctable de Newton, celle d'aboutir le plus vite possible en bas. Etait-ce par fascination devant cet amas de pierres " vivantes " ou plutôt par crainte que les rochers ne dévient finalement dans notre direction…, quoi qu'il en soit, l'appareil photo resta dans la pochette.

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